Repression

La politique sécuritaire dans les communes bruxelloises

Par Magali Gillard
Permanente JOC Bruxelles

Le thème de la sécurité est devenu une vraie priorité tant au niveau fédéral que communal, surtout depuis les attaques meurtrières de Paris et Bruxelles. S’il est clair qu’il faille mettre tout en œuvre pour éviter que de tels événements ne se reproduisent, et que nous aspirons tou.te.s à vivre en « sécurité », la politique du « tout-sécuritaire » mise en place par nos représentants est, quant à elle, plus que contestable. Elle pourrait même s’avérer contre-productive.

Un Plan canal très policier
Initié par notre ministre de l’Intérieur et appliqué en bonne entente avec les communes bruxelloises concernées, le Plan canal  est rentré en application en février 2016. Ne concernant au départ que Molenbeek, il a ensuite été entendu à d’autres communes : Bruxelles, Saint-Gilles, Anderlecht, Forest, Saint-Josse-Ten-Noode, Koekelberg et Schaerbeek. Soit les communes les plus défavorisées de Bruxelles. Il avait pour ambition de lutter contre le « radicalisme violent » en augmentant le nombre de policiers (avec environ 300 policiers supplémentaires au niveau local). La stratégie était double : surveiller étroitement les habitants et lutter contre la petite criminalité.

A plusieurs reprises, nos représentants se sont félicités des résultats de leur plan. Tout d’abord, pour avoir intercepté plusieurs kilos de haschisch, des faux papiers, etc. Ou encore plus récemment pour avoir pu radier quelque 2000 personnes des registres de la population grâce à plus de 100 000 (!) contrôles de domicile.

On peut tout d’abord se demander en quoi ces « résultats » permettent de lutter contre la montée du radicalisme : ce n’est pas le petit vendeur de marijuana du coin qui finance des organisations terroristes telles que Daesh. Qui plus est, si l’on veut lutter contre la criminalité, ce n’est pas par toujours plus de répression qu’on y arrivera, mais plutôt en luttant contre les inégalités à l’origine de la pauvreté qui ne fait que s’accroître. Encore faudrait-il pour cela trouver un minimum de volonté politique.

Au total, c’est plus de 39 millions d’euros qui ont été déployés au niveau local pour renforcer les politiques ultra-sécuritaires. A côté de cela, aucun moyen supplémentaire pour le secteur associatif. Et pourtant,  les travailleur.se.s du secteur dénoncent l’aggravation du manque de moyens !  Plusieurs ASBL, maisons de quartiers et maisons de jeunes ont été fermées.

Moins de moyens pour le social donc, et toujours plus pour le sécuritaire. Mais pour quels résultats ?
Les opérations policières menées dans le cadre du Plan canal ont traumatisé de nombreux habitants des communes concernées.  De multiples abus et agissements violents des policiers – comme des insultes à caractère raciste, passages à tabac, etc. – sont dénombrés lors de fouilles inopinées des logements (sans aucun mandat ou motif légitime), ou bien lors de descentes de police dans des lieux de rencontre ou de détente, comme les parcs. De nombreuses arrestations et détentions abusives avec maintien en isolement, des heures durant, de personnes qui n’avaient rien à se reprocher, sont également à dénoncer. Cette situation avait d’ailleurs alerté des organisations des droits humains comme Human Rights Watch en 2016[1].

Si les contrôles au faciès à répétition et les violences policières (insultes, coups, arrestations arbitraires,…) étaient déjà connues des habitant.e.s, surtout des jeunes « racisé.e.s », elles se sont considérablement accentuées avec un sentiment d’impunité sans précédent face à ces abus. En choisissant de cibler les communes les moins favorisées de la capitale où l’on retrouve le plus de personnes issues de l’immigration tout en ciblant particulièrement la communauté musulmane lors des opérations policières, le Plan canal ne fait que renforcer les discriminations à leur encontre.

Loin de répondre à ses ambitions prétendues de « lutte contre le radicalisme », il renforce les clivages et donc les violences qui peuvent en résulter. Il fait ainsi le jeu des organisations terroristes comme l’EI.

La lutte contre les Sanctions administratives communales
Le système des SAC – Sanctions Administratives Communales – entré en vigueur depuis 2013, permet de sanctionner par des amendes les personnes (dès 14 ans) dont le comportement est qualifié « d’incivique » ou « ayant un impact négatif sur la qualité de vie des habitants de la ville ». Cette sanction est attribuée en dehors du système judiciaire et ne répond donc pas aux mêmes règles d’indépendance, de transparence et protection de droits de chacun.e.

Ce système est problématique et ce pour plusieurs raisons : tout d’abord, il faut souligner son caractère extrêmement arbitraire qui ne permet pas l’égalité de traitement. C’est en effet à chaque commune de décider des comportements qui seront verbalisés : tapage diurne, occupation privative de la voie publique, exercice d’une activité sur la voie publique sans autorisation, etc. Comportements qui sont eux-mêmes sujets à l’interprétation du fonctionnaire communal qui juge aléatoirement, par exemple, qu’une activité est trop bruyante. Ce dernier envoie ensuite son PV au fonctionnaire sanctionnateur qui décidera quant à lui du montant de l’amende infligée. Ce système ne respecte donc pas la séparation des pouvoirs puisque c’est la commune qui à la fois décide de la règle, constate et sanctionne.

Ensuite, les SAC contribuent à la criminalisation et au harcèlement des jeunes. Cette mesure amène entre autres à sanctionner des jeunes parce qu’ils jouent au foot ou écoutent de la musique dans l’espace public. On arrive donc à des situations où être jeune devient une incivilité. De plus, cette mesure s’applique essentiellement à ceux qui dépendent de la rue pour leur vie sociale. On rentre dans une dynamique de harcèlement, où on utilise un système injuste et arbitraire pour les repousser hors de l’espace public. On peut déjà prévoir qu’au lieu de remplir son objectif de « lutte contre l’incivilité », ce système ne peut mener qu’à augmenter les frustrations et l’agressivité.

De plus en plus de personnes se voient également verbalisées durant des manifestations, rassemblements, actions, voir même lors de distributions de tracts ! Les SAC participent donc également à la criminalisation des mouvements sociaux. Ce dispositif s’en prend aux plus fragilisés et alimente le cycle de l’exclusion et de la frustration. Les SAC mettent ainsi en danger les droits les plus fondamentaux de tout un chacun, c’est pourquoi nous devons exiger la fin de ce système arbitraire et injuste.

Conclusion
Les mesures  répressives, telles que les SAC ou le plan Canal, participent à la même logique de criminalisation et de harcèlement des plus précaires. Elles ne feront qu’accentuer les discriminations et les divisions à l’origine des violences de notre société. Ce n’est pas en criminalisant toujours plus les jeunes, les pauvres et les personnes racisées que nous éradiquerons la violence mais bien en luttant contre les inégalités.

Seules des réponses sociales, comme des emplois décents et socialement utiles, des infrastructures publiques et des services publics de qualité et accessibles à tou.te.s peuvent garantir une société harmonieuse, à chacun et à chacune.

L’entêtement de nos dirigeants à répondre aux problèmes sociaux par l’intensification de la répression est un aveu de leur impuissance à résoudre les problèmes socio-économiques de la population. Face à leur échec, ils préfèrent prendre de mauvaises mesures, parfois « spectaculaires », pour montrer qu’ils font quelque chose et ainsi « rassurer » la population, même si ces mesures sont inappropriées. Exigeons la fin des SAC, du plan Canal et plus largement de la politique du «  tout-sécuritaire ». Pour des réponses sociales aux problèmes sociaux !

 

 

Nous exigeons des réponses sociales ainsi que la fin des Sanctions administratives communales, du plan Canal et plus largement de la politique du « tout sécuritaire »

[1] https://www.hrw.org/fr/report/2016/11/03/sources-dinquietude/les-reponses-antiterroristes-de-la-belgique-aux-attaques-de

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