enseignement - lycée Dachsbeck

La dualisation de l’enseignement à Bruxelles

Par Daniel FASTENAKEL

 

De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque la dualisation scolaire ?
Je vous propose de nous accorder à dire qu’il s’agit de la conjonction de multiples facteurs de ségrégation et de hiérarchisation qui conduisent à séparer les établissements scolaires (et les publics qui les fréquentent) en deux catégories distinctes et à éliminer les situations mixtes.

Quels sont les facteurs qui induisent cette situation ?
Tout d’abord, le quasi marché qui caractérise notre système scolaire. Le financement des établissements scolaires étant proportionnel au nombre d’élèves qui s’y inscrivent, les écoles vont tenter de rencontrer au mieux les attentes des parents, en ciblant le public qu’ils souhaitent privilégier. Et les attentes des parents sont surtout marquées par leur origine sociale et culturelle
Or la région bruxelloise est caractérisée par de fortes inégalités sociales. Au niveau des revenus, et sans nous attarder sur cet aspect qui fait l’objet d’autres contributions à ce numéro du Chou de Bruxelles, un tiers de la population bruxelloise vit sous le seuil de pauvreté. Cette ségrégation sociale se double d’une ségrégation territoriale : les populations les plus fragiles socialement se concentrent dans les quartiers formant le « croissant pauvre » qui regroupe une partie du pentagone, l’Est d’ Anderlecht et de Molenbeek, l’ouest de Schaerbeek, Saint-Josse et le bas de Saint Gilles et de Forest. C’est aussi dans ces quartiers que trouvent à se loger les travailleurs migrants et leur famille D’une certaine manière, on peut donc également parler de ségrégation ethnique. La demande scolaire provient donc d’un public fortement segmenté à la fois au niveau social, culturel et territorial.
Autre facteur déterminant de la dualisation scolaire : la hiérarchisation des filières. L’enseignement général est le plus valorisé au détriment des filières techniques et professionnelles. L’enseignement général constitue en effet la voie la plus directe vers l’enseignement supérieur. Les parents issus de milieux socialement et culturellement favorisés par souci de reproduction sociale, et les milieux populaires par souci d’émancipation sociale, vont tous deux privilégier cette forme d’enseignement.
Le facteur suivant à mettre en évidence, c’est l’orientation par l’échec. En fonction de leurs résultats scolaires, à commencer par la réussite du CEB, les élèves vont voir leurs possibilité d’orientation se maintenir ou, au contraire, se restreindre. Nous y reviendrons plus loin.
L’ensemble de ces facteurs cumulés explique la forme qu’a prise la dualisation scolaire à Bruxelles, forme qui concerne exclusivement l’enseignement secondaire : d’une part des établissements d’enseignement général le plus souvent situés dans des quartiers à population aisée, renommés et recherchés accueillant les élèves les plus « compétitifs » et d’autre part des écoles techniques et professionnelles accueillant des élèves qui, pour la plupart, se retrouvent là suite à une série d’échecs, quand ce n’est pas suite à une exclusion d’une école du premier type. Entre les deux, très peu, voire pas d’établissements, en conséquence du mécanisme de quasi marché évoqué plus haut.

Quelles mesures pour combattre ce phénomène ?
Les différents responsables de l’enseignement qui se sont succédé n’ont pas manqué de prendre des mesures visant à combattre cette dualisation. Des mesures d’une première catégorie, prises dès la fin des années 80 peuvent être qualifiées de compensatoires. La première mesure, pilotée par Françoise Dupuis de 1989 à 1999, c’est l’instauration de Zones d’Education Prioritaire (ZEP), à l’instar de ce qui existait chez nos voisins français. Il s’agit d’une approche territoriale, qui vise non seulement à renforcer les moyens des écoles situées dans les zones fragilisées, mais également à nouer des partenariats avec les acteurs para- et péri-scolaire pour lutter plus globalement contre les inégalités socioculturelles. Ces dispositifs sont restés expérimentaux et, malgré des évaluations externes encourageantes, ont été abandonnées au profit des Discriminations positives (D+), puis dix ans plus tard par l’encadrement différencié, moins stigmatisant pour les établissements bénéficiaires. Il s’agit ici d’octroyer des moyens humains et financiers complémentaires aux établissements qui accueillent des publics provenant de quartier «à indice socio-économique faible». On comprendra aisément que ces mesures contribuent à réduire les inégalités entre établissements sans s’attaquer aux causes des problèmes. Seconde catégorie de mesures : celles qui peuvent être qualifiée de régulatrices. Nous évoquons bien entendu ici le fameux « décret inscription », initié par Marie Aréna, transformé, suite à la formation de files devant les établissements « renommés » en « décret mixité sociale » par Christian Dupont avant d’être peaufiné par Marie-Dominique Simonet, Joëlle Milquet et Marie-Martine Schyns. Une réelle avancée de notre point de vue, mais qui est loin d’avoir résolu les problèmes de dualisation. Une dernière catégorie de mesures, ce sont celles qui visent à une orientation positive. Il s’agit ici des différentes réformes du premier degré du secondaire, à commencer, dès, 2006, par l’instauration d’un premier degré différencié. Ici encore, les premières mesures prises ne s’attaquent pas directement au mécanisme d’orientation par l’échec, mais vise plutôt à en atténuer les effets. Il s’agit d’instaurer des parcours différenciés qui permettent, même en cas d’échec au CEB ou en première année, de poursuivre un cursus dans l’enseignement général. En 2014, le système a été revu en assurant la réussite en première commune des élèves qui s’y sont inscrits en ayant réussi le CEB. Le système est très complexe et ne peut être détaillé ici. On doute cependant fortement qu’il atteigne son objectif ambitieux d’assurer à tous les élèves la maîtrise des savoirs de base et de permettre une orientation positive !

Et demain ?
Le pacte d’excellence nous annonce la mise en place d’un véritable tronc commun de 6 à 15 ans qui devrait permettre aux jeunes de découvrir les activités qui leur conviennent et opérer des choix positifs. C’est bien évidemment dans cette direction qu’il faut aller, en articulation avec les mesures régulatrices. Mais les obstacles matériels, les réticences des acteurs et les antagonismes politiques sont tels qu’on peut craindre que la fin de la dualisation scolaire ne soit pas assurée dans un avenir immédiat !

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