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Coup d’état en Guinée : les évènements et le regard de la diaspora

Rencontre avec Aliou Baldé
Par Nada Ladraa, CIEP-MOC Bruxelles

Le 5 septembre 2021, les conversations WhatsApp de la diaspora guinéenne en Belgique suivent toutes le même sujet : un coup d’état en cours. Aliou Baldé, permanent de la JOC de La Louvière, reçoit lui aussi la nouvelle par un message de son frère.

« Dans les heures et les jours qui suivent cette première nouvelle, on en apprend de plus en plus sur ce qui se passe sur place. Le colonel Doumbouya est le leader de la force spéciale, une unité d’élite de l’armée. Nous, le peuple, connaissions déjà le colonel depuis le 12 octobre 2018. Le 12 est le jour de célébration de l’indépendance post-coloniale. Pendant cette journée, un défilé de l’armée est organisé. En 2018, on voit pour la première fois cette unité défiler. Alpha Condé avait fait appel à eux, en sachant que, s’il voulait garder le pouvoir pour un troisième mandat, il avait besoin de l’armée contre les manifestations du peuple ». Face à ces évènements, la réaction de la diaspora est très fort divisée.  « Il y a deux réactions. Ceux qui ont plus de 30 ans et qui ont connu d’autres régimes sont beaucoup plus méfiants. Les jeunes, par contre, ont beaucoup d’espoir : le régime d’Alpha Condé répond par une répression de plus en plus violente ».

Mouvements : Et quelle a été ta réaction, Aliou ?

AB : « Je crois qu’il faut être très attentif à énoncer des jugements basés sur des faits. Là, je crois qu’il faut saluer certains actes posés par le colonel. D’abord, le fait d’avoir libéré les prisonniers politiques qui ont été emprisonnés pendant les manifestations contre le troisième mandat d’Alpha Condé. Je crois qu’il y avait une septantaine de personnes et moi-même j’étais très content d’entendre cela. Ensuite, la décision de baisser le prix de l’essence a été un choix économique très bénéfique pour le peuple. A côté de ça, tous les barrages de la gendarmerie présents sur les routes guinéennes ont été levé : ça a des grands effets sur les coûts du transport et du commerce pour les habitant.e.s. Il y aussi eu une charte de la transition qui a été écrite. Bien sûr, je crois que les générations plus âgées ont bien raison d’être méfiantes, mais, jusqu’ici, les mesures prises ont été plutôt positives. »

Il y a quelques mois, une grosse partie de la diaspora guinéenne belge et bruxelloise est sortie dans les rues de Bruxelles. En effet, ici aussi il y a eu une forte militance contre Alpha Condé. Est-ce qu’on peut dire que le colonel partage la volonté du peuple qui est sorti contre Alpha Condé ? Quelle est la relation entre Alpha Condé et cette unité spéciale, plus spécifiquement le colonel Doumbouya ?

AB : « Non je ne crois pas. Je dirais qu’il y a eu un renversement du régime par le régime lui-même. Les tensions entre le ministre de la Défense, le Président de la République et le colonel était déjà connues et elles sont probablement à la base de ce coup d’état. »

Souvent, un regard européen post-colonial de gauche questionne l’intervention des pays coloniaux dans ce type de changement politique…

AB : « C’est une analyse que moi-même j’avais faite. Doumbouya a été dans l’armée française, notamment dans la Légion Française des Combattants. Il a participé à différentes missions, comme en Afghanistan. Donc, il n’a pas seulement une très bonne formation militaire, ce qui explique sa participation à l’unité spéciale appelée par Condé en 2018, mais aussi un potentiel lien proche avec la France. »

Pourtant, selon Aliou, plusieurs éléments questionnent cette analyse : « Premièrement, le fait que le colonel a été invité à rentrer par Alpha Condé lui-même. Ensuite il y a aussi un rapprochement avec le coup d’état au Mali, coup d’état particulièrement anti-français. »

La France n’aurait pas eu de réactions particulières ?

AB : « La France savait certainement qu’il y avait ce coup d’état planifié. Par contre, Alpha Condé n’avait pas de liens très forts avec la France, ce qui l’a aussi affaibli et isolé. Il faut aussi souligner que la Guinée a un rapport avec la France complexe. En 1958, Charles de Gaulle avait proposé des référendums dans plusieurs pays africains colonisés. Le sujet du référendum était de décider si les différents pays voulaient ou pas faire partie de la Communauté Française. »

C’était en effet, pendant le processus de décolonisation africain, l’une des stratégies mises en place par la France pour s’assurer des liens économiques et géopolitiques privilégiées avec les pays colonisés en lutte. Dans deux pays seulement, le parti politique principal a porté des grandes campagnes pour soutenir un vote pour une indépendance complète : le Niger et la Guinée. « La Guinée » continue Aliou « a été finalement le seul pays à dire non, guidé par la campagne menée par Ahmed Sékou Touré. D’où la complexité des relations postcoloniales avec la France qu’on vit encore à l’heure actuelle. »

En continuant à avoir un regard posé sur le positionnement politique de la diaspora guinéenne dans ce contexte, il est intéressant d’observer la différence avec la communauté marocaine. La diaspora marocaine ne peut pas voter dans les élections du pays d’origine. Dans les dernières élections, des partis minoritaires marocains ont fait campagne en proposant le droit de vote pour les marocain.e.s à l’étrangers tout en proposant des politiques spécifiques pour la diaspora. Par contre, la Guinée offre cette possibilité. Comment est-ce qu’elle se traduit ?

AB : « Dans les dernières élections en 2015, 75% de la population a voté pour l’opposition portée par l’UFDG. En octobre de cette année, le leader de l’UFDG est venu à Bruxelles, à l’ULB, où il été accueilli par des milliers de guinéens. Ce parti, libéral, est très proche du MR belge ce qui ramène sûrement des votes libéraux par les belgo-guinéens. Etant donné ce vote massif vers l’opposition, il y a eu des tentatives qui ont été faites pour empêcher la participation aux élections de la diaspora. Déjà dans certains pays, comme le Sénégal, les guinéens n’ont pas le droit de vote. Ici à Bruxelles, en 2015, l’ambassade a tenté de nous empêcher de voter. Un petit exemple, les listes sur lesquelles il faut vérifier la présence de chaque personne qui vient pour voter n’étaient pas en ordre alphabétique, ce qui par conséquent demandait donc des longues minutes d’attente avant de pouvoir retrouver le nom de l’électeur. Face à ça, nous nous sommes organisés pour réclamer clairement notre droit de vote. Il y a donc un enjeu lié au rapport de forces qu’on a pu mettre en place ici, mais pas, par exemple, dans d’autres contextes politiques comme le Sénégal. »

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